dimanche 20 janvier 2008

Casualty

Des docteurs, des infirmières, la psychologue... On me l'a demandé souvent, à l'hôpital, si j'avais perdu des amis.

Ça arrive à bien des patients. Je connais un gars, il s'appelle Francis, il a mon âge, et il a un cancer dangereux mais il s'en sort bien. Sa blonde, qui était avec lui depuis un moment, l'a laissé quelques semaines après son diagnostic. Ça arrive.

De la façon dont on m'en parle, ça a l'air fréquent. Même que, selon les spécialistes, c'est normal. Le cancer effrait. Ça fait peur, ce mot-là. Cancer. Moi j'ai perdu une amie. C'était une bonne amie, je n'aurais jamais dit qu'elle n'était qu'une connaissance, avant mon diagnostique. Mais c'est normal, consciemment ou inconsciemment, elle a eu peur. J'ai passé proche de mourir, plus d'une fois. Elle n'a sûrement pas voulu s'attacher, ça aurait pu lui faire mal. Sa réaction était normale, humaine.

On le dit souvent, le cancer c'est une bataille, une guerre. Et à la guerre, même si on gagne, il y a des pertes. On perds des gens. Ça fait partie de la game.

samedi 12 janvier 2008

Deal or no deal

Mon père m'a raconté une histoire tout à l'heure, une conversation que j'ai eu avec mon médecin durant mon black out. Et les souvenirs me sont revenus...

- J'vais y aller franchement avec toi Nicolas, t'es dans un état très grave. Tu vas recevoir de la chimiothérapie. Je vais employer un anglicisme, on est dans un deal or no deal situation. Tu comprends ce que ça veut dire?
- Oui?
- Explique moi-le.
- Ça passe ou ça casse. Avec le traitement qui arrive, je guéris ou je meurs.
- C'est ça. T'es-tu prêt à te battre.
- Oui.

J'ai commencé à recevoir de la chimio la journée même. Ça fesse, des souvenirs comme ça.

vendredi 11 janvier 2008

Cicatrice en éclair

J'ai une cicatrice dans le front, en forme d'éclair. Ça fait un peu sorcier, je sais. Je me suis fait ça dans mes premiers jours d'hospitalisation. J'ai commencé une crise d'épilepsie et je suis tombé la tête la première sur le sol. Je gisais là, dans une marre de sang, mes proches s'affolaient et les infirmières ont cru que c'était un ACV. Finalement, ce n'était qu'une crise de convulsion. J'ai survécu.

J'ai une cicatrice en éclair dans le front, comme marque, comme souvenir : j'ai survécu.

jeudi 10 janvier 2008

Poil de face

J'ai un peu de cheveux, et un peu plus de barbe, qui recommencent à pousser. Je sais qu'ils vont retomber, au prochain traitement, et repousser après. Mais en attendant, ça donne un avant-goût du printemps.

mardi 8 janvier 2008

Black out

De mes premiers jours d'hospitalisations, quand j'étais très, très malade, je n'ai presque aucun souvenir. Mon doc dit que c'est parce que mon sang était déréglé, il y avait trop de calcium. Mais peu importe, ce que je veux dire, c'est que je trouve que c'est wierd, d'avoir oublié neuf jours de ma vie.

Je n'étais pas dans le comma pendant ces neufs jours. J'ai signé des papiers autorisants des opérations, j'ai tenu des discussions avec de la visite, j'ai passé avec succès des tests de neurologie. J'étais cohérent.

Mais cette perte de mémoire, elle n'est qu'au niveau de la conscience. Mon inconscient se rappelle de toute l'émotivité liée. J'ai pris des habitudes pendant ce temps-là. Et quand je suis sorti de mon black out, (je me rappelle même de mon premier souvenir post-blackout, c'était la visite d'un ami) mon attitude avait changé, j'avais des nouvelles habitudes, et même que je donnais un nouveau surnom à ma soeur.

C'est vraiment étrange, j'ai changé beaucoup durant ces neufs jours, et je n'ai pas de souvenirs des raisons qui m'ont poussés à changer ainsi. Et je n'ai pas souvenirs d'avoir appris plein de termes médicaux pendant ces neufs jours, sauf qu'après, je les connaissais. J'ai l'impression d'avoir manqué une scène importante d'un film, sauf que, dans le cas présent, le film, c'est ma vie.

Alors j'essaie de recoller les morceaux. Depuis quelques semaines, quand j'en ai la chance, je fouille dans mon dossier médical. Je retrouve les dates des opérations que j'ai passé, les premières fois que j'ai pris des médicaments que je prends encore aujourd'hui, les examens subis. Ça fait tout drôle.

Je découvre mon passé, je le ressens aussi. Mais je n'arrive pas à le visualiser.

dimanche 6 janvier 2008

Bouteille de vin

Une bouteille de vin, une très importante bouteille de vin, en tout cas pour moi, retrouvée vide et c'est le désastre. Un bouteille de vin débouchée, mise à côté des autres bouteilles vides d'après party de Noël, et dans ma tête je change, je m'effondre. Mon cynisme devient tristesse, cette bouteille m'affecte, elle est la plus belle et la plus triste oeuvre d'art de l'Absolu. Je me fige, j'arrête de bouger, et autour de moi les gens s'affairent, ne remarquent rien, ne remarquent pas le désastre. Cette bouteille m'avait été offerte, c'était la dernière, j'avais comme devoir de la protéger. Et puis je cherche un coupable : qui a osé ouvrir cette bouteille? Cette bouteille qui voulait tout dire pour moi, et on me répond que quelqu'un s'est servi, parce que j'avais laissé la bouteile à côté des autres, des bouteilles ordinaires. Je suis atterré. J'ai failli, ce dernier cadeau de mon grand-père n'est plus, je l'ai négligé et il n'est plus. Je suis au bord des larmes, et j'essaie d'expliquer, que c'est grave, qu'il ne fallait pas, que je suis un tel imbécile, que la bouteille est perdue. Et on me dit que ce n'est pas grave, qu'on peut en racheter une autre, qu'elle ne valait pas si cher. Mais je m'en fous, j'ai trahis mon grand-père, j'ai falli, la bouteille rachetée ne sera jamais la même, elle n'aura pas d'héritage, elle ne sera pas porteuse d'un amour, d'une passion. J'ai trahis mes valeurs par ma faiblesse, je ne suis plus celui que je suis, je suis un diminué de moi-même, j'approche de n'être plus rien. Et j'essaie d'expliquer, j'essaie, mais c'est beaucoup trop compliqué, partout on ne voit qu'une vulgaire bouteille de vin, et je comprends que je suis le seul à voir la bouteille de mon grand-père, à voir un héritage et une valeur, à voir un désastre et une oeuvre d'art. Et j'imagine, je vois déjà les éclats de la bouteille, je la vois déjà brisée, déchue, dans un bain liquide rouge vin, et je suis le seul à voir, et je suis triste. Je m'enferme. J'aurais besoin de parler, mais c'est beaucoup trop compliqué. Je m'enferme.

mardi 1 janvier 2008

Écriture de soirée

Ça m'arrive généralement en soirée. Je commence à écrire. Je laisse aller mes mots, au rythme qu'ils vont dans ma tête, je les transpose sur le clavier et ça donne un résultat, résultat amusant, résultat que j'aime généralement assez bien. Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai jamais bloggé avant, jamais vraiment, je crois, sauf peut-être cette fois . Jamais vraiment avant, sauf une fois, parce que ça ne fait généralement aucun sens, ça n'a aucune signification, ça fait juste sortir de ma tête, ces mots. Ces mots. Mes mots. Mes mots de soirée, mes mots de gars fatigué qui pense comme pour s'assurer qu'il pense, des mots de réconfort face à moi même. Je pense donc je suis, et j'écris ce que je pense, comme preuve, comme trace : j'ai existé. Je pense et je divague, je pense que je pense, c'est au bord de la méta-écriture, et je ne prends même pas le temps de vérifier si ça existe, la méta-écriture, de toute façon je m'en fous, dans ma tête ça a du sens, ça existe, comme moi j'existe, et moi et ma méta écriture on existe ensemble, dans un absolu abstrait. Et les mots défilent, ils passent, comme vous lisez et ils passent, vous oublierez sûrement ce texte aussi vite que je l'écris, mais vous lisez, peut-être pour vous réconforter. Vous lisez donc vous pensez, vous existez. Et on existe, vous, moi, et ma méta-écriture. On est trois, au moins trois, c'est clair, c'est pas défendable philosophiquement mais au moins pour le moment c'est clair, c'est au moins ça. Et au milieu de cette écriture phatique, on se perd, du moins moi je me perds, je suis mon courrant. Mon courrant qui m'amène ailleurs, à me rappeller que oui j'existe, et c'est parce que je suis en vie, et j'écris parce que je vie et pour me rappeller que je vie, parce que c'est ma manière à moi, maintenant, de la vivre, cette vie. Et j'écris pour ne pas penser à la mort, cette incontournable meurtrière, celle qui viendra un jour, et que je crains plus que tout. Cette mort qui approche tranquillement, lentement, cette Effrayante de laquelle on ne peut pas se défendre. On ne peut que fuir, que la repousser, ce qui est bien naturel, parce qu'elle est repoussante. On ne peut que fuir, et penser à autre chose. Oui, autre chose, une autre chose, n'importe quoi. Je pourrais penser à n'importe quoi, à cette locution telle quelle, «n'importe quoi». N'importe quoi, qui qualifie un peu ce texte, et qui dans ce contexte porte tellement bien son nom. Des mots, de la pensée, n'importe quoi, peu importe quoi, pourvu que ce «quoi » soit autre chose que l'Effrayante, pourvu que ça soit autre chose que l'Effrayante. N'importe quoi d'autre que l'Effrayante. Alors pourquoi je n'anylserais pas cette peur? J'ai peur, et c'est quoi cette peur? C'est de l'instinct je dirais, c'est naturel, c'est de la volonté de survie, et c'est mon instinct qui se butte au fait que je ne comprenne pas qu'on vit avant de se faire faucher par l'Effrayante, et qu'au bout du compte plus rien n'a de sens. Je passe du cynisme au nihilisme, et ça m'énerve, je n'aime pas le nihilisme, le monde existe, bien sûr qu'il existe, autant que mes mots, et au bout du compte il y a un sens, sinon je ne serais pas cynique, je ne serais pas dégoûté des actes de mon espèce. Mon espèce qui se cherche, mon espèce qui se parle quand même, qui écrit, qui blogue. Mon espèce qui tente de communiquer, qui invente des moyens de communications et des théories psychologiques par milliers mais qui n'arrive toujours pas à se parler. Parce qu'on fond ce qu'elle veut faire, pour cesser l'horreur et le massacre, c'est faire ressentir. Elle ne veut pas communiquer, elle veut partager sa douleur, elle veut être comprise. Et les mots, les explicatios, ne suffisent pas. J'en ai déjà parler. Il faut vivre pour ressentir, il faut connaître et expérimenter. Et risquer. Et subir. Parce que ce n'est pas toujours enlevant d'expérimenter, on ne cherche pas à souffrir pour expérimenter. On ne cherche pas à souffrir, personne de censé ne voudrait essayer mon cancer simplement pour me comprendre. On fond, on ne cherche pas à comprendre. On ne cherche pas à ressentir. On cherche à assouvir, assouvir ce que notre instinct nous commande de faire, et c'est l'horreur. Et parce que je ne veux pas ressentir cette horreur, j'écris, et voilà, mes pensées retournent à mes mots. Peut-être qu'au fond, mes mots sont ma seule fuite possible, j'écris, je pense, je vie, et voilà, c'est suffisant, c'est ma forme d'égoïsme, ces mots. Et je publie, sur ce blogue, et c'est une autre forme d'égoïsme, parce que je sais que vous me lisez. Et que même si vous ne me lisez pas, ça ne me dérange pas, parce que cette petite parcelle qui dit que vous me lisez, elle est perdue au milieu d'un texte bien trop long, alors ceux qui ne me lisent pas ne pourront jamais me contredire, ils ne saurant jamais que j'ai écrit ça. Ça. N'importe quoi. N'importe quoi, encore, un n'importe quoi qui m'absorbe, qui me consomme, mes mots qui passent et que je donne, je donne mon être et mon âme à manger à mes lecteurs pour m'assurer que je suis en vie, quelle peur quand même. Je suis un peureux, au bord de la faiblesse, aussi peureux que vous, j'imagine. On m'a dit d'incomptables fois que j'étais courageux, face aux évènements, face à ma maladie qui tue, face à mes traitement, mais en fait je suis un trouillard enchaîné à son instinct, son misérable instinct. Mon misérable instinct, qui craint l'Effrayante.

Ah tiens, on est en 2008. Bienvenue.